La suspension, par l’expert, de ses opérations

Si l’expert se heurte à des difficultés qui font obstacle à l’accomplissement de sa mission ou si une extension de celle-ci s’avère nécessaire, il en fait rapport au juge.

Celui-ci peut, en se prononçant, proroger le délai dans lequel l’expert doit donner son avis. (art. 279 CPC).

 

Ces difficultés peuvent aller jusqu’à la suspension de ses opérations. Néanmoins, cette décision relève toujours du juge qui l’a commis ou, lorsqu’il existe, du juge chargé du contrôle des expertises et peut générer un contentieux de la suspension, comme il existe un contentieux de l’accroissement ou de la restriction de la mission. Dans cette hypothèse, les parties seront entendues contradictoirement au visa du rapport d’incident de l’expert. La décision du juge sera susceptible d’appel.

 

 

Dans certains cas, il se peut que le demandeur à l’expertise informe l’expert qu’il abandonne la procédure. Ce dernier doit alors immédiatement demander des instructions au Juge qui l’a commis, dans son intérêt (Cass. Civ. 2e, 4 févr. 1999, n°96-15423, à propos d’un expert qui avait poursuivi sa mission alors qu’il avait été avisé par le demandeur de l’abandon de la procédure et n’en avait pas avisé l’autorité judiciaire qui l’avait commis – cette circonstance a conduit le premier Président à limiter sa rémunération).

 

Il se peut aussi que les parties se rapprochent et envisagent entre elles, durant le temps de l’expertise, des discussions en vue d’un accord. L’expert reste tenu, en vertu de l’ordonnance qui le désigne, de déposer un rapport dans un certain délai et doit s’en soucier (art. 239 et 265 CPC). Il ne doit donc évidemment pas suspendre ses opérations dans l’attente d’une éventuelle conciliation, mais s’il est informé par les parties qu’une conciliation est possible, il doit leur impartir un délai (en général deux mois au maximum), en informer le juge et, à défaut de conciliation, reprendre ses opérations (art. 273 CPC : ” L’expert doit informer le juge de l’avancement de ses opérations et des diligences par lui accomplies “).

 

Signalons également qu’il existe d’autres cas dans lesquels la continuation de la mission par l’expert est susceptible de constituer une difficulté pour une partie, à raison de certaines circonstances qui tiennent à la personne de l’expert ou son conjoint (par exemple, un conflit d’intérêt, un contentieux en cours etc). N’est-on pas en présence d’une difficulté qui fait obstacle à l’accomplissement de la mission ? L’expert qui perçoit la difficulté doit-il poursuivre sa mission, ou la suspendre, voire l’arrêter, lorsqu’une partie demande son remplacement ou sa récusation ? Doit-il attendre la décision qui le remplace ?

 

Il est intéressant d’aborder les cas de demandes de remplacement et de récusation des experts.

 

1 – Le remplacement de l’expert :

 

Indiquons d’emblée que la demande de remplacement de l’expert ne suspend pas l’exécution de la mesure d’expertise (Cass. Civ. 2e, 6 avril 2006, n°04-16500: ” Mais attendu qu’aucune disposition  ne prévoit la suspension de la mesure d’expertise durant l’examen de la demande de remplacement de l’expert […] ).

 

D’ailleurs, lorsque le remplacement de l’expert est envisagé, à l’initiative des parties ou d’office, l’avis du technicien est sollicité. (art. 235 al 2 CPC : « le juge peut également, à la demande des parties ou d’office, remplacer le technicien qui manquerait à ses devoirs, après avoir provoqué ses explications »).

 

Les causes de remplacement

 

Le juge peut également, à la demande des parties ou d’office, remplacer le technicien qui manquerait à ses devoirs, après avoir provoqué ses explications” (art. 235 al 2 CPC)

 

Le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.

Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l’agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle-ci et en son nom l’exécution de la mesure.” (art. 233 CPC)

 

Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité” (art. 237 CPC).

 

Le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis.

Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties.

Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique“. (art. 238 CPC)

 

Le technicien doit respecter les délais qui lui sont impartis.” (art. 239 CPC).

 

En quelques mots, sont indiqués les axes qui gouvernent la conduite de l’expertise, et qui peuvent donner lieu à l’inverse, à un rappel du cadre de la mission, voire même au remplacement de l’expert.

 

Contrairement aux hypothèses de récusation, on voit que la loi ne donne pas de liste précise pour  le remplacement de l’expert. D’une certaine façon, le remplacement de l’expert à l’initiative des parties peut être envisagé comme une sanction du non respect, par l’expert, de ses obligations (par exemple, violation du secret professionnel, non respect des délais, défaut d’accomplissement des opérations d’expertise, non respect du contradictoire etc). C’est bien sûr vrai, mais en partie seulement.

 

En effet, ce remplacement peut aussi résulter directement de l’initiative de l’expert, inscrit ou non sur une liste, lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’est pas assez compétent techniquement (après avoir examiner les premiers éléments du dossier, un expert – architecte peut demander son remplacement par un expert – ingénieur en travaux publics ; un expert ayant le vertige demandera peut être son remplacement par un collègue ayant de meilleures aptitudes pour examiner un ouvrage très en hauteur etc) ou lorsqu’il connaît une surcharge de travail (bien que les juridictions disposent maintenant d’informations à ce sujet), ou des problèmes de santé qui l’éloignent temporairement de son activité, sinon définitivement en cas de décès.

 

Or le cas où l’expert prend l’initiative de demander son remplacement, on gardera à l’esprit que le juge qui a commis l’expert ou le juge chargé de contrôle des expertises ne doit pas se prononcer sur la régularité des opérations d’expertise en cours, mais seulement sur l’éventuel manquement de l’expert à ses devoirs (Cass. Civ. 2e, 6 janv. 2005, n°02-20255).

 

La procédure de remplacement

 

La décision est prise par  le juge qui a nommé le premier expert, ou par le juge chargé du contrôle, en la forme d’une ordonnance de remplacement d’expert, à la demande des parties ou d’office.

 

L’article 235 du Code de procédure civile n’exige pas que le technicien dont le remplacement est demandé soit convoqué.

 

Aucune obligation de débat contradictoire avant la décision du juge ne s’impose donc. Il suffit que l’expert ait été invité à présenter ses observations (Cass. Civ. 2e, 15 déc. 2005, n°04-11573).

Toutefois, en pratique, les magistrats estiment qu’il est préférable de convoquer l’expert et de l’entendre en ses explications.

 

Le juge apprécie souverainement si les manquements reprochés au technicien justifient son remplacement (Cass. Civ. 2e, 15 nov. 2007, n° 07-10921 ; Cass. Civ. 2e, 6 janv. 2005, n° 02-20255 ; Cass. Com. 18 févr. 2003, n° 01-01326)

 

La décision sur le remplacement est susceptible d’appel, mais elle est exécutoire par provision, c’est-à-dire qu’elle sera  appliquée même si un appel est formé.

 

 

2 – La récusation de l’expert

 

Les causes de récusation

 

Les causes de récusation sont les mêmes que celles régissant la récusation du juge (art. 234, 235 et 341 CPC).

 

 «Sauf disposition particulière, la récusation d’un juge est admise pour les causes prévues par l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire.” (art. 341 CPC)

 

“Sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d’un juge peut être demandée :

1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;

2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties ;

3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une des parties ou de son conjoint jusqu’au quatrième degré inclusivement ;

4° S’il y a eu ou s’il y a procès entre lui ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ;

5° S’il a précédemment connu de l’affaire comme juge ou comme arbitre ou s’il a conseillé l’une des parties ;

6° Si le juge ou son conjoint est chargé d’administrer les biens de l’une des parties ;

7° S’il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ;

8° S’il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l’une des parties ;

9° S’il existe un conflit d’intérêts, au sens de l’ article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Les magistrats du ministère public, partie jointe, peuvent être récusés dans les mêmes cas”  (art. L L111-6 COJ).

 

Les causes de récusation sont des exigences du droit au procès impartial que la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit  (art. 6§1 CEDH : toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial).

 

Elles ont un caractère limitatif (Cass. Civ. 2e, 5 déc. 2002, n°01-00224).

 

Toutefois, au-delà de ces causes limitativement énumérées, l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme peut être invoqué par les parties et justifier la récusation (Cass. Civ. 2e, 5 déc. 2002, n°01-00224).

 

Ainsi, il doit toujours être tenu compte de l’exigence d’impartialité requise de tout expert judiciaire (notons toutefois que cette impartialité est présumée jusqu’à preuve contraire – Cass. Civ. 1ère, 23 mai 2006, n°04-12514).

 

L’appréciation du juge est souveraine, ce qui implique donc de la part de ceux qui demandent la récusation, une démonstration précise des faits en lien avec les causes sus évoquées (Cass. Civ. 1e, 15 oct. 1989, n°86-15051).

 

Les hypothèses les plus fréquentes de demande de récusation sont fondées sur l’amitié ou l’inimitié notoire, l’existence d’un lien de subordination ou d’un procès entre l’une des parties et l’expert.

 

À ce sujet, la Cour de cassation considère que l’existence d’un procès entre l’expert judiciaire et l’une des parties constitue une cause péremptoire de récusation, sans qu’il y ait lieu de distinguer suivant que le procès a été engagé avant ou après le début des opérations d’expertise ou selon qu’il puise sa raison d’être dans des faits étrangers ou non au déroulement des opérations (à propos de faits de violence commis sur un expert au cours des opérations d’expertise : Cass. Civ. 2e, 13 oct. 2005, n°04-10834).

 

Toutefois, la contestation à laquelle a donné lieu la taxe d’experts dans l’instance au cours de laquelle ils ont été commis ne constitue pas le ” procès ” dont l’article L 111-6 du code de l’organisation judiciaire fait état comme cause de récusation (Cass. Civ. 2e, 15 déc. 1986, n°85-17122).

 

Une dernière précision : il peut paraître tentant pour certains plaideurs d’engager une action en responsabilité à l’égard de l’expert, puis d’en faire état au titre d’une cause de récusation péremptoire, visée par l’article L 111-6, 4° COJ.

 

Dans un arrêt rendu le 15 octobre 2015, la Cour de cassation a refusé de voir une cause de récusation péremptoire, du fait de la fraude établie d’une partie, qui agissait à dessein malicieusement :

 

 

ayant relevé que la demande de récusation intervenait alors que l’expertise était en phase finale, pour des motifs déjà examinés par des décisions qui avaient rejeté les demandes de remplacement ou pour des motifs relevant de la compétence des juges du fond, quelques jours seulement après que la société SIHPM avait fait assigner les trois experts en responsabilité, et retenu que cette action était mise en oeuvre à la seule fin de se constituer une cause péremptoire de récusation pour contourner les décisions ayant rejeté les demandes de remplacement à de multiples reprises, caractérisant de la sorte une fraude de la société, c’est dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation souverain que la cour d’appel a décidé que ce procès ne constituait pas une cause de récusation ” (Cass. Civ. 2ème 15/10/2015, n°14-22932).

 

La procédure de récusation :

 

« les techniciens peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. S’il s’agit d’une personne morale, la récusation peut viser tant les personnes morales elle-même que la ou les personnes physiques agréées par le juge.

La partie qui entend récuser le technicien doit le faire devant le juge qui l’a commis ou devant le juge chargé du contrôle avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation.

Si le technicien s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle ». (art. 234 CPC)

 

La procédure de récusation relève donc de la compétence du juge chargé du contrôle des expertises ou du juge qui a commis l’expert. L’appel d’une ordonnance de référé pour contester la nomination d’un expert et en faire désigner un autre est donc irrecevable (Cass. Civ. 2e, 17 juin 1999, n°97-17009).

 

La partie qui a des moyens de récusation à proposer doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation. Le juge doit rechercher si la demande de récusation a été formée de la révélation de la cause alléguée (Cass. Civ. 2e, 15 janv. 2009, n°08-11212).

 

Ainsi, en application de l’article 234 al. 2 CPC, la saisine tardive du juge chargé du contrôle de l’expertise rend la demande de récusation irrecevable. La Cour de cassation estime qu’une partie n’est pas recevable se prévaloir de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales résultant d’un défaut d’impartialité d’un expert, en raison de précédentes relations contractuelles entre elle et ce dernier, dès lors qu’elle n’a pas fait usage de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant ce technicien et qu’en s’abstenant de le faire avant le début des opérations d’expertise, elle a ainsi renoncé sans équivoque à s’en prévaloir (Cass. Civ. 2e, 4 juin 2009, n°08-11163).

 

Même solution dans une affaire où la demande de remplacement intervient 3 ans après la révélation de ses causes (Cass. Civ. 2e, 8 nov. 2001, n°98-21557).

 

La demande de récusation postérieure au dépôt du rapport n’est pas admise. (Cass. Civ. 2e, 18 nov. 2010, n°09-13265 ; Cass. Soc. 10 mai 2006, n°05-60268 ; Cass. Civ. 3e, 20 juin 1979, n°77-15348 ; Cass. Civ. 2e, 18 nov. 2010, n°09-13265). C’est de bon sens, l’expert est déjà dessaisi par le dépôt de son rapport.

 

Certains magistrats estimeront peut être que la demande de récusation suspend de droit la mission de l’expert, se conformant à une pratique propre à la magistrature en ce qui concerne ses membres, puisque les règles relatives à la récusation sont communes aux magistrats et aux experts.

 

Mais selon nous, la demande de récusation ne suspend pas la mission d’expertise. La Cour de cassation a explicitement répondu sur ce sujet dans un arrêt en 2013 (Cass. Civ. 2ème, 10 janv. 2013, n°11-21945 , à propos d’un expert légitimement récusé, mais qui avait maintenu une réunion d’expertise postérieurement à la demande de récusation et avant que la décision commettant un autre expert ne soit rendue, cette circonstance ayant suscité un débat sur le montant de sa rémunération en fonction de ses diligences).

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