La décision qui ordonne l’expertise expose les circonstances qui rendent nécessaires l’expertise et, s’il y a lieu, la nomination de plusieurs experts ; nomme l’expert ou les experts ; énonce les chefs de la mission de l’expert… (art. 265 du Code de procédure civile).
Gardant à l’esprit que le juge commet une « personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien » (art 232 Code procédure civile), la mission définie dans la décision qui ordonne l’expertise ne peut être qu’orientée ab initio vers ce caractère technique, qui échappe nécessairement aux parties et au Juge.
Une évidence pense-t-on ? Une difficulté surtout, lorsqu’il est demandé par les plaideurs que l’Expert donne « son avis sur les responsabilités encourues », c’est-à-dire sur des considérations de droit, qui par nature, sont la mission première de la juridiction (du latin jurisdictio, droit de rendre justice, venant de jus, juris, justice, et dicere, dire).
La difficulté est de ne pas orienter l’expert vers une appréciation juridique des prétentions des parties, puisque le juge ne peut pas déléguer à l’expert de la mission de dire le droit (Civ. 2e, 9 déc. 197, 95-10798), même s’il en fixe souverainement l’étendue pour s’adapter au plus près des faits de l’espèce (op. Cit.) . L’article 238 al 3 CPC est d’ailleurs sans interprétation possible : « Il [l’expert] ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique »).
On s’attendra donc à trouver dans la mission d’expertise, des injonctions tendant à ce qu’il se rende sur place, entende les parties et tous occupants des lieux, se fasse communiquer tous les documents et pièces utiles à l’accomplissement de sa mission, prenne connaissance des plans et descriptifs des travaux du projet et/ou de l’existant, fixe la première réunion, visite, dans la limite de ce qui sera considéré comme utile et nécessaire les immeubles, , établisse un constat des existants en infrastructure et en superstructure, indique l’état d’avancement des travaux lors des réunions successives, dresse un état précis de ses constatations, constater tout dommage matériel survenu aux ouvrages, examine les préjudices, décrive les travaux nécessaires aux remises en état, en détermine la cause et en fixe le coût etc.
S’agissant des travaux qu’il préconise, il importe ici de préciser que l’Expert ne peut se voir reprocher d’être réputé constructeur au sens de l’article 1792-1 du Code civil en raison de l’existence d’un lien contractuel avec le maître de l’ouvrage et une qualité de maître d’œuvre. La Cour de cassation a en effet formellement exclu cette qualification, précisément dans une hypothèse où un juge avait confié à un expert une mission de direction, d’exécution et de contrôle de tous les travaux nécessaires à l’achèvement de bâtiments et de leurs abords, et à la livraison d’appartements à des acquéreurs.
Une telle mission, qui conduisait en l’occurrence l’Expert à donner acte aux parties de leur accord sur ses propositions, ne suffit pas « à caractériser l’existence d’un lien contractuel entre le maître de l’ouvrage et l’expert » (Civ. 3e, 27 juin. 2001, 99-18883).
L’Expert peut-il concilier les parties ? En matière civile, bien sûr… que non !
Même si on comprend l’utilité de la conciliation dans le cadre d’un contentieux déclaré, ce n’est pas le rôle de l’Expert et la loi est claire sur ce point : « Le juge ne peut donner au technicien mission de concilier les parties » (art. 240 CPC).
On ne peut ici s’empêcher de mettre un parallèle, pour mieux les distinguer, les dispositions de l’article R 621-1 du Code de justice administrative, qui donnent la faculté au juge administratif ” soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, [d’] ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L’expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l’initiative, avec l’accord des parties, d’une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation “.
Etonnantes dispositions du code de procédure civile qui interdisent l’intervention de l’expert dans la recherche d’un accord, alors que le code de justice administrative l’encourage largement !
Pour autant, l’Expert désigné dans le cadre d’un procès civil n’est pas insensible à l’évolution du litige, avec le temps et la réflexion des parties. Il n’est pas rare d’ailleurs que celles-ci se rapprochent durant leurs opérations et fassent part à l’expert d’un accord sur des points conflictuels.
Si les parties viennent à se concilier, l’expert constatera que sa mission est devenue sans objet et en fera rapport au juge (art. 281 al 1er CPC).
Dans cette hypothèse, les parties peuvent demander au juge de donner force exécutoire à l’acte exprimant leur accord (art. 281 al 2 CPC).
Il arrive parfois que la mission fixée par le tribunal trouve sa limite en cours d’expertise, par exemple du fait de l’apparition de dommages à certains ouvrages non concernés par la procédure à l’origine, ou parce qu’un projet de construction a évolué et rend par la suite nécessaire d’effectuer des constats sur des immeubles appartenant à des tiers non inclus dans la procédure : dans cette hypothèse, la mission de l’Expert devra être modifiée notamment à la diligence des parties.
Ainsi :
- « le juge chargé de procéder à une mesure d’instruction où d’en contrôler l’exécution peut ordonner telle autre mesure d’instruction que rendrait opportune l’exécution de celle qui a déjà été prescrite ». (art. 166 CPC)
- « le juge qui a commis le technicien ou le juge chargé du contrôle peut accroître ou restreindre la mission confiée aux techniciens ». (art. 236 CPC)
Lorsqu’il existe un Juge chargé du Contrôle des Expertises au sein de la juridiction, il est utile d’en faire l’interlocuteur principal des experts et des parties pour toute modification de la mission. À cet égard, la Cour de cassation énonce que lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée au titre de l’article 145 du Code de procédure civile, le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction tient de l’article 236 du même Code le pouvoir d’accroître ou restreindre la mission confiée au technicien (Civ. 2e, 18 sept. 2008 ; Procédure, nov. 2008, 292 ; 07-17640).
Les parties pourront donc opter soit pour la saisine du Juge qui a commis l’Expert , soit celle du Juge du Contrôle des Expertises. Il n’est pas évidemment pas inutile de s’intéresser aux formalités de saisine, au coût pour ce faire et à la durée de ces procédures pour se déterminer.
L’Expert peut-il aborder des points non fixés dans sa mission ?
La loi lui fait une obligation stricte de donner son avis sur les points pour lesquels il a été commis (art. 235 al 1er CPC).
Surabondamment, une lecture rigoureuse de la mission d’expertise, qui oblige généralement l’expert à se rapprocher du Magistrat en charge du Contrôle des Expertises en cas de difficultés, laisserait penser que la marge de manœuvre de l’Expert est limitée.
La loi lui donne néanmoins une certaine latitude, puisqu’il peut répondre à d’autres questions que celles de sa mission, avec l’accord écrit des parties (art. 238 al 2 CPC, a contrario : « Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. »).
Dans cette hypothèse, par précaution l’expert devra :
- informer le magistrat de l’extension de la mission à des points nouveaux
- et surtout, annexer à son rapport, l’accord écrit des parties sur ce point.
On observera ici qu’aucune disposition ne sanctionne par la nullité l’inobservation des obligations imposées par l’article 238 du Code de procédure civile au technicien commis. Il en résulte que si, en cours d’expertise, les parties ne s’opposent pas à ce que l’expert examine d’autres points que ceux initialement déterminés, aucune nullité ne sera encourue (Civ. 3e, 4 oct. 1995, 94-10359).
Mais en général, l’Expert souhaitera plutôt avoir l’accord du juge sur l’extension de la mission (« …si une extension [de sa mission] s’avère nécessaire, il [l’expert]en fait rapport au juge. Celui-ci peut, en se prononçant, proroger le délai dans lequel l’expert doit donner son avis » – art. 279 CPC). Notons que le juge « ne peut, sans avoir préalablement recueilli les observations du technicien commis, étendre la mission de celui-ci ou confier une mission complémentaire à un autre technicien » (art. 245 CPC).