En droit, le juge a une totale liberté dans le choix de l’expert : il n’a pas à en justifier (Soc. 9 juillet 1997, 95-20294, Légifrance). Mais en réalité, la complexité de la procédure et le cadre juridique spécifique de l’expertise conduisent la plupart du temps à désigner des experts figurant sur des listes dressées par les cours d’appel ou la Cour de cassation, et plus rarement, hors listes.
Les experts inscrits sur les listes
Les experts judiciaires inscrits sur ces listes sont des professionnels assermentés soumis à des règles de discipline et à une obligation de formation. Il n’existe cependant pas de contrôle des connaissances techniques ni de définition de méthodes de protocole de formation.
Depuis la loi du 11 février 2004 et le décret du 23 décembre 2004, des listes d’experts agréés par les cours d’appel sont régulièrement mises à jour par une commission associant des représentants des juridictions et des experts dans le cadre d’un processus de recrutement et de contrôle de qualité périodique.
L’expert est initialement inscrit dans une rubrique particulière, à titre probatoire, pour une durée de trois ans (article 2 II de la loi du 29 juin 1971, modifié par l’article 38 de la loi du 22 décembre 2010). Le refus d’inscription n’est pas motivé. À l’issue de cette période probatoire et sur présentation d’une nouvelle candidature, il peut être réinscrit pour une durée de cinq ans, après avis motivé de la commission s’il a donné satisfaction. Celle-ci évalue son expérience, la connaissance qu’il a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien.
Les réinscriptions ultérieures, pour une durée de cinq ans, sont soumises à l’examen d’une nouvelle candidature dans les mêmes conditions. La mise en œuvre de la loi du 11 février 2004, et en particulier les décisions de rejet d’inscription ou de refus d’inscription, donnent lieu à un contentieux important.
A titre d’exemple, citons le cas de l’assemblée générale d’une cour d’appel qui refuse la réinscription d’un expert n’ayant déposé que deux rapports d’expertise pour chacune des années 2003, 2004 et 2007 et aucun en 2005 et 2006, et qui ne commet pas d’erreur manifeste d’appréciation (Civ. 2e, 14 mai 2009, 09-11230, Légifrance).
L’admission sur la liste emporte un principe de disponibilité de sa part, sauf justification.
Les experts désignés hors liste
La désignation d’un expert hors d’une liste doit être exceptionnelle. Le Juge doit s’assurer qu’il bénéficie d’une assurance suffisante pour couvrir sa mise en cause et il doit prêter serment (art. 6, al. 3 de la loi du 29 juin 1971).
En général, ces désignations sont réservées à des hypothèses de grande spécialité ne figurant pas dans la nomenclature des listes ou de renommée particulière du technicien.
La désignation d’un expert ou son remplacement ne saurait être subordonné au versement préalable de la provision mise à charge de la partie qui sollicite l’expertise (Soc. 12 mai 1993, 89-45797, Légifrance).
L’expert d’assurance peut-il être expert judiciaire ?
La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer à plusieurs reprises sur cette question.
Elle énonce que le seul fait « de réaliser des missions pour des sociétés d’assurances ne constitue pas, en soi, l’exercice d’une activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise » (Civ. 2e, 22 mai 2008, 08-10314 et 08-10840, Légifrance).
Il n’y a donc pas d’incompatibilité de principe entre l’activité d’expertise judiciaire et l’exercice de missions d’expertise pour le compte de tiers, et notamment, des compagnies d’assurances.
Mais la prévention des risques de conflits d’intérêts, sinon des conflits avérés, commande dès lors la prudence.
La disponibilité des Experts
La connaissance de la charge de travail de l’expert est un élément important de sa désignation. Pendant longtemps, les experts étaient nommés alors qu’ils étaient surchargés, ce qui les conduisait souvent quelques semaines plus tard à refuser leur mission et obligeait les juges à désigner un nouvel expert avec tous les retards que cela implique. Cela pose évidemment le problème de la connaissance de leur disponibilité au moment du procès ou du délibéré.
A PARIS, à l’occasion d’une demande d’expertise en référé, la pratique est que le juge interroge très souvent les parties pour savoir si elles ont un nom d’expert à proposer. Les avocats familiers de ce type de contentieux anticipent nécessairement cette question et ont toujours un ou deux noms à proposer, en ayant pris soin d’appeler les Experts concernés avant l’audience, afin de connaître leur disponibilité. Hors les cas où certains défendeurs s’opposent à la désignation des experts proposés, le magistrat vérifie immédiatement informatiquement à l’audience avec le greffe, si tel expert est disponible. Cela suppose en amont que l’Expert ait fait connaître sa charge de dossiers. Il est en pris acte par le juge, mais la désignation de l’expert n’intervient que dans le secret de son délibéré, en général à quinzaine pour ce qu’il en est à PARIS.
Au delà de cette indication de sa disponibilité, l’expert est tenu de faire connaître chaque année aux chefs de cour le nombre de rapports qu’il a déposés en précisant les délais qui lui étaient impartis (article 23 du décret du 23 décembre 2004).
Les intervenants aux côtés de l’Expert
Les missions d’expertise conduisent parfois l’Expert à solliciter l’intervention de tiers, afin d’apporter un éclairage particulier sur un point donné, utile à la manifestation de la vérité technique. Ainsi peut-on voir intervenir des assistants, des sapiteurs ou des sachants. Leur rôle mérite d’être précisé, de même que les cas où un collège d’experts intervient.
L’Assistant
« le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l’agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle-ci et en son nom l’exécution de la mesure ». (art 233 CPC).
« L’expert peut se faire assister dans l’accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité ». (art 278-1 CPC)
La loi indique clairement que l’Expert ne peut pas tout déléguer à un assistant, bien que l’intervention de ces tiers se fasse sous son contrôle et son autorité. Un assistant, c’est-à-dire par exemple un collaborateur interne au cabinet de l’expert ou un Huissier de justice, peut évidemment simplifier son travail s’il prend sous la dictée les constatations que lui dicte l’expert, ou effectue des photographies précises de désordres.
Mais que penser d’un expert qui fait intervenir deux de ses collaborateurs, l’un pour photographier des désordres et l’autre pour les décrire, tandis qu’il reste à attendre à un autre endroit la fin de leur travail ?
Le cas paraît caricatural. Il correspond pourtant à une certaine pratique, heureusement très limitée et très extensive de la loi, qu’on ne saurait cautionner. En effet, on gardera en mémoire que la jurisprudence a eu l’occasion de rappeler les obligations qui sont faites aux experts, sous peine de dévoyer leur mission et de porter atteinte à l’expertise.
Ainsi :
- Des opérations de mesurage de propriétés, qui constituent des actes d’exécution à caractère technique inhérents à la mission de l’expert, et comme tels non susceptibles d’être délégués à des collaborateurs comme pourraient l’être des tâches purement matérielles, sont, en l’absence de toute direction, contrôle ou surveillance par celui-ci, effectuées en méconnaissance de son obligation d’accomplir personnellement sa mission ; elles ne peuvent, en conséquence, valoir opérations d’expertise (Civ. 2e, 10 juin 2004, 02-15129, Légifrance).
- De même, est annulée une expertise au cours de laquelle l’expert avait confié à un huissier de justice la charge de procéder à des mesures de constatation de l’état de récoltes pour mesurer l’importance des dégâts les affectant alors justement qu’il avait été missionné à cette fin (Civ. 2e, 19 févr. 1997, 95-14163, Légifrance).
Le sapiteur
« L’expert peut prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne ». (art. 278 CPC).
Lorsqu’un expert missionné par un juge pense qu’il est à la limite de ses qualifications, il envisagera de faire appel à une personne compétente dans un autre domaine. Cet autre technicien dont parle l’article 278 CPC, c’est un « sapiteur », « celui qui sait ».
Souvent, le juge autorisera expressément dans le dispositif de sa décision le recours à un sapiteur, mais l’expert peut y faire appel spontanément.
Il n’a pas besoin d’une autorisation du juge en matière civile, contrairement en matières pénale et administrative.
Aucune autorisation préalable n’est donc requise. Le fait que l’expert ait cru devoir saisir le juge d’une demande de désignation de spécialiste est dépourvu de portée (Civ. 2e, 29 janv. 2004, 00-12367, Légifrance).
L’expert en assure le contrôle, le coût, et doit conserver « l’initiative de la totalité des opérations » (Civ. 2e, 29 janv. 2004, 00-12367, Légifrance).
Tout comme la conduite de l’expertise, les constatations et les investigations effectuées par le sapiteur doivent être réalisées à l’occasion de réunions auxquelles toutes les parties ont été conviées, dans le respect du principe de la contradiction. L’intervention du sapiteur n’est que le prolongement de la mission de l’Expert et obéit donc aux mêmes règles, notamment le respect du contradictoire.
Les dires écrits ou verbaux doivent avoir reçu une réponse et l’expert judiciaire doit superviser l’ensemble des opérations à l’occasion de réunions contradictoires (Civ. 3e, 4 nov. 1999, 98-10694, Légifrance).
Est en revanche annulée le rapport d’un expert qui mentionne que ses calculs ont été vérifiés par un universitaire dont l’identité n’est pas portée à la connaissance des parties dans le rapport, dont l’avis n’est pas annexé et dont les parties n’ont pu débattre contradictoirement avant le dépôt du rapport (Civ. 2e, 16 janv. 2003, 01-03427, Légifrance).
De même, est annulé à l’égard de toutes les parties le rapport d’un expert qui fonde ses conclusions sur l’analyse d’un sapiteur consulté sans leur en donner connaissance (Civ. 2e, 15 avr. 2010, 09-10239 ; Civ. 20 oct. 1993, 92-10653, Légifrance).
Le sachant
« le technicien peut recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leurs nom, prénoms, demeure et profession ainsi que, s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
Lorsque le technicien commis ou les parties demandent que ces personnes soient entendues par le juge, celui-ci procède à leur audition s’il l’estime utile ». (art. 242 CPC)
Sans être un expert ou un sapiteur, le sachant est en général un professionnel ou un témoin particulier, qui peut éclairer l’expert.
L’article 242 n’exige pas du technicien chargé de la mesure d’instruction qu’il procède à l’audition des sachants en présence des parties (Com. 4 avr. 1995, 93-18219, Légifrance).
On objectera que les parties, en vertu du contradictoire, pourraient demander le contraire et elles aussi poser des questions.
Collège d’experts
« Il n’est désigné qu’une seule personne à titre d’expert à moins que le juge n’estime nécessaire d’en nommer plusieurs » (art. 264 CPC).
Il s’agit d’une faculté relevant du pouvoir discrétionnaire du juge (Civ. 2e, 13 juill. 2005, 03-19945, Légifrance).
À défaut de dispositions contraires dans la décision nommant plusieurs experts, chacun doit procéder à toutes les opérations d’expertise, mais il ne résulte d’aucun texte qu’ils doivent y procéder ensemble (Civ. 2e, 28 juin 1989, 88-13108, Légifrance)