Le recours à l’expertise judiciaire civile

Le Code de procédure civile distingue trois modalités différentes au titre des mesures d’instruction qui peuvent être exécutées par un technicien :

 

  • Les constatations (article 249 à 255) : « le juge peut charger la personne qu’il commet de procéder à des constatations. Le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droits qui peuvent en résulter.
  • La consultation (article 256 à 262) : « lorsqu’une question purement technique ne requiert pas d’investigation complexe, le juge peut charger la personne qu’il commet de lui fournir une simple consultation ».
  • L’expertise (article 263 à 284-1) : « l’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ».

Statistiquement, d’après les chiffres fournis par la Chancellerie en janvier 2018, il apparaît que sur la période 2010-2017, le nombre d’affaires traitées par les Tribunaux de Grande Instance ayant requis l’avis d’un expert a varié : après une augmentation de 10% entre 2010 et 2012, ce nombre a connu un infléchissement pour atteindre 43 909 en 2017 (-15% entre 2012 et 2017).


Devant les Tribunaux de Grande Instance, les expertises sont ordonnées en référé dans près des trois-quarts des situations.

 

Aucune statistique n’est cependant disponible à notre connaissance sur le nombre de constatations ou de consultations ordonnées. Il semble qu’on y recourt de façon marginale, pour contrebalancer le recours à l’expertise dans le cadre du procès civil.

 

En pratique, l’expertise est donc de loin la mesure d’instruction la plus demandée  comme la plus ordonnée, mais il n’en demeure pas moins qu’elle a un caractère subsidiaire au regard des autres mesures d’instruction.

 

Le juge est souverain pour en apprécier l’opportunité et les parties n’ont pas de droit à faire nommer un expert, quand bien même ils s’accorderaient sur ce point. A l’inverse , le juge n’est pas obligé de consulter les parties avant de nommer un expert (art. 232).

 

Le refus d’expertise est ainsi prononcé , lorsque :

  • il y a autorité de la chose jugée ;
  • la preuve d’un motif imposant de ne pas recourir à l’expertise est rapportée (exemple de la filiation) ;
  • le juge s’estime suffisamment éclairé ou compétent ;

Cas particulier du référé probatoire (pré-contentieux) :

Article 145 : « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourraient dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Découlent de cette définition deux conditions présidant à la mise en œuvre de cette mesure d’instruction : la mesure doit être justifiée par la nécessité de conserver ou d’établir les faits (1) et il doit y avoir un procès potentiel (2).

(1) la nécessité de conserver ou d’établir les faits

Le juge doit vérifier d’abord si une instance est déjà engagée au fond, puis la légitimité de la mesure demandée mais aussi son objet, c’est-à-dire sa limitation à l’établissement, ou à la conservation, des preuves.

Le juge n’est pas tenu de caractériser le motif légitime au regard du ou des différents fondements juridiques de l’action que le demandeur se propose d’engager (Civ. 2e, 8 juin 2000, 97-13962, Légifrance).

Le défendeur ne peut invoquer l’article 146 au terme duquel « une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve »).

En effet, l’article 146 n’est applicable qu’aux mesures d’instruction ordonnées au cours du procès et ne s’applique pas aux demandes fondées sur l’article 145 (par exemple Civ. 2e, 10 juillet 2008, 07-15.369 ; Civ. 2e, 10 mars 2011 , 10-11732, Légifrance).

Les mesures d’instruction doivent tendre à la conservation des preuves, ou à l’établissement de faits, et peuvent concerner des tiers, si aucun empêchement légitime ne s’y oppose (2e Civ., 26 mai 2011, pourvoi n° 10-20.048, Bull. 2011, II, n° 118).

Seules les mesures légalement admissibles peuvent être ordonnées et ce critère fait souvent difficulté, tant la tentation peut être grande  d’instrumentaliser l’article 145 du code de procédure civile, par exemple pour obtenir des informations sur un concurrent.

(2) un litige potentiel

La définition de cette notion est largement appréciée. La Cour de cassation a en effet estimé (3e Civ., 8 avril 2010, pourvoi n° 09-10.226), que « l’existence d’un litige potentiel n’étant pas une condition de recevabilité de la demande mais de son succès » et avait ainsi admis la demande d’expertise d’une société, dont le bail commercial venait d’être résilié, en vue de fixer le montant de la valeur locative des locaux et celui de l’indemnité d’éviction , alors qu’au jour de la saisine du juge des référés, il n’existait selon ce locataire aucun litige potentiel l’opposant à son bailleur. Mais tel était le cas du bailleur dans la cause, qui, après la saisine du juge des référés, mais avant qu’il ne statue, avait exercé le droit d’option ouvert par l’article L. 145-57 du code de commerce, liant ainsi un potentiel litige relativement au paiement d’une future indemnité d’éviction.

Cet arrêt, qui précise le régime du référé relatif à la preuve, met également en lumière les modulations dans le temps de certaines exigences probatoires : si la preuve des conditions de recevabilité doit être rapportée au jour de la saisine du juge, celle des conditions de fond peut être différée jusqu’au jour où il statue (Cour cassation rapport annuel 2012).

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